La France a-t-elle (encore)les moyens de s’endetter ?
De
Christian Prat Dit Hauret, Professeur des Universités IAE Bordeaux Directeur scientifique de l’Institut SOFOS | Jean-Etienne Palard, Maitre de Conférences des Universités IAE Bordeaux Senior Partner – Kickston |
Le 1er décembre 2023, l’agence de notation Standard & Poors décidait de maintenir la note de la France à « AA »[1] avec perspectives négatives en raison du déficit budgétaire chronique et d’un niveau d’endettement préoccupant. S&P justifie cette décision par le programme de consolidation du gouvernement, jugé « solide », et par la mise en œuvre de diverses réformes structurelles, notamment celles des retraites et de l’assurance chômage. Cependant, cette perspective « négative » soulève des questions sur la soutenabilité de la dette publique française à long terme, compte tenu de la dégradation significative des finances publiques, particulièrement depuis la crise du COVID-19.
Rappelons que depuis le début des années 1980, le niveau de la dette publique n’a cessé de croître à la faveur des différentes crises économiques et financières qui se sont succédées au cours des quarante dernières années. Après avoir dépassé le seuil de 80% en 2010 suite à la crise des subprimes puis le seuil symbolique de 100 % du PIB en 2020 en réponse à la pandémie de COVID-19, la dette publique française a poursuivi son expansion pour atteindre désormais 111,8 % du PIB. En valeur absolue, elle est ainsi passée de 1 000 milliards d’euros à plus de 3 000 milliards d’euros entre 2001 et 2023. Les charges d’intérêt liées au service de la dette n’ont cessé de progresser représentant le deuxième poste du budget de l’État avec 50,8 milliards d’euros pour l’exercice 2023 derrière le budget de l’Éducation Nationale, certes, mais devant celui de la Défense.
Pour la première fois depuis le passage à l’euro en 2002, la dette de l’État français coûtera plus cher sur le marché que celle de l’Espagne ou du Portugal. On observe également un accroissement du spread – 79 points par rapport à l’Allemagne – le taux actuel de l’OAT Tec 10 se situant actuellement autour de 3,30%. La France se retrouve ainsi parmi les plus mauvais élèves de la zone euro aux côtés de l’Italie et de l’Espagne. Le choix de Bruxelles de placer sept États membres sous procédure pour déficits publics excessifs, reflète le sentiment émergent sur le marché des emprunts d’État concernant la situation politique française.
Il convient de rappeler que la dernière fois que l’État français fit faillite, fut le 30 septembre 1797. Ce jour-là, l’Etat fit banqueroute et plus des 2/3 de la dette de l’Etat fut rayé d’un trait de crayon. On appela cela « la banqueroute des deux tiers » et ce fut le Directoire qui annonça aux prêteurs français que les sommes prêtées par ces derniers ne seront pas remboursées pour les deux tiers des crédits accordés. La raison en fut un déficit budgétaire hors de contrôle et déraisonnable et une dette publique énorme. Suivez notre regard… Il ne faudrait pas, comme le disait Frédéric Bastiat il y a près de deux siècles que « l’État devienne une fiction légale par laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de toute le monde ». Il vaudrait que cela soit un bien commun qu’il convienne de sauvegarder et de protéger comme un bien rare.
L’objet de cette note est d’abord de dresser un panorama sans concession de la situation budgétaire actuelle et de l’impasse dans laquelle se situe la France face au grave problème de sa dette publique. Nous chercherons notamment comprendre si la dette est soutenable à long terme. Nous esquisserons pour finir des scénarios de sortie de crise même si le chemin semble plus qu’étroit… En d’autres termes, la France a-t-elle encore les moyens de s’endetter ?
[1] Les Échos, publié le 31 Mai 2024. « Dette : la France sanctionnée par S&P, un revers politique majeur pour le gouvernement ». https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/dette-la-france-sanctionnee-par-standard-poors-2098469
[2] https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-07/20240715-RSPFP-2024.pdf
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