Le recrutement et la fidélisation au sein des cabinets d’expertise comptable :
proposition de la méthode RCOREF@
Il faut être enthousiaste de son métier pour y exceller
Diderot
Les cabinets d’expertise comptable sont confrontés à une crise aigüe de recrutement, crise qui ne fait que commencer. Nul ne rencontre un expert-comptable sans évoquer avec lui ses difficultés de recrutement ou son désarroi lors du départ de collaborateurs-conseils appréciés et expérimentés. Force est de constater que les cabinets attirent peu et ont, pour certains, du mal à fidéliser une partie de leurs salariés. |
La question posée est la suivante : quelles sont les solutions ? Clairement, un plan Marshall de la profession s’impose compte tenu de cette situation qui ne va que s’aggraver dans les mois et années à venir si des réponses spécifiques ne sont pas apportées. Les métiers de la comptabilité font en effet partie des 10 métiers les plus en tension, tous segments d’emplois confondus. Il est ainsi regrettable pour toutes les parties prenantes que les cabinets d’expertise comptable soient présents sur de nombreux marchés porteurs mais n’ont, pour certains d’entre eux, pas les équipes pour réaliser certaines missions sollicitées par leurs clients. Et l’essor du numérique et du digital ne vont rien changer au problème, bien au contraire car le niveau technique des équipes va baisser en raison de « l’éloignement » digital cabinet-client. |
Mais, quelles sont les raisons de cette pénurie de personnel ? La pénurie s’explique par un déséquilibre entre l’offre et la demande d’emplois dans le secteur comptable. L’offre d’emplois est en effet très importante car il n’existe pas une seule organisation économique et sociale sans comptabilité. Le chiffre est roi, omniprésent et très utile pour les différents processus décisionnels dans un univers économique complexe et mouvant. Science de la mesure, la comptabilité est une nécessité pour mesurer la performance des entreprises de toute taille et une obligation juridique pour aider les Etats à collecter les impôts directs et indirects et les organisations de protection sociale, les cotisations. Cela nécessite « des têtes et des bras » pour produire cette information chiffrée. Or, les comptables formés, proposant leurs services sur ce marché, adoptent des stratégies d’arbitrage compte tenu de l’existence d’une double concurrence sur le marché de l’emploi : une première concurrence entre les cabinets qui fait malheureusement rage et une deuxième entre les cabinets et les organisations publiques et privées qui ont également besoin de professionnels comptables. Ainsi, face à une très forte offre de postes de comptables débutants et expérimentés, la demande d’emplois n’est pas au rendez-vous, ce qui déséquilibre le marché. |
Premier explication : le nombre de jeunes diplômés est insuffisant à tous les niveaux : baccalauréats comptables, BTS, DCG, DSCG, Masters CCA, filières expertise comptable des écoles de management.
Deuxième explication : certains jeunes diplômés ou collaborateurs décident de faire autre chose après leurs études, d’autres au cours de leur vie professionnelle ou partent en entreprise. Constat fait, la mise en place d’une politique performante de gestion des ressources humaines pro-active s’impose.
Cette politique de gestion des ressources humaines peut être articulée autour de la méthode RCOREF@, développée par votre serviteur : R comme Recrutement , C comme Communication, O comme Organisation du travail, R comme Rémunération, E comme Emploi et F comme Formation.
Ainsi, pour chacune de ces 6 dimensions, des actions concrètes peuvent être mises en œuvre et des leviers d’action puissants, efficaces et créateurs de valeur financière peuvent être « actionnés ».
Premier levier : un Recrutement (R) réussi. Ce dernier se construit autour d’une définition précise du poste de travail et réaliste du profil recherché mais également d’une campagne rigoureuse de recrutement construite autour d’une analyse approfondie des CV, d’entretiens individualisés et de tests techniques (en comptabilité et en fiscalité) et psycho-comportementaux.
Le fil directeur des outils proposés et utilisés est celui de l’identification de deux qualités complémentaires des candidats : le « savoir-faire » et encore plus important, le « savoir-être ». Des études de cas de mise en situation sont d’un réel apport pour analyser le comportement réel des postulants face à des situations concrètes.
Deuxième levier : une politique de Communication (C) efficiente du cabinet – à la fois externe et interne. Une politique de communication externe efficace a pour objectif de rendre le cabinet attractif et de construire le capital réputationnel du cabinet.
Cette politique de communication externe peut être construite autour d’outils aussi divers que la construction d’un site internet informationnel, une présence active sur les réseaux sociaux, l’organisation de manifestations pour les clients, la création d’un capital marque ou la conclusion de partenariats actifs et équilibrés avec les écoles et universités.
Quant à la politique de communication interne, elle est primordiale et encore plus importante. Une politique de communication interne de qualité permet de faire circuler l’information au sein du cabinet, de « déminer les conflits », d’annihiler les comportements déviants et de construire la culture du cabinet sur un système fort de valeurs et une confiance solide. Une communication interne de qualité facilite également les relations interpersonnelles entre les salariés et permet de construire une cohésion de groupe solide, utile et nécessaire durant les périodes chargées et intenses telles que la période dite « fiscale ». Et probablement que les valeurs les plus fédératrices au sein d’une entreprise de services sont l’esprit de responsabilité, la confiance, l’équité et la solidarité. Une communication interne efficiente permet également de construire une culture organisationnelle construite autour du collectif.
Une équipe soudée est toujours plus performante qu’une autre où priment des individualités.
Troisième levier : l’Organisation du travail (O). Elle est capitale pour générer de la satisfaction au travail qui est essentielle pour faciliter la fidélisation des collaborateurs au sein des cabinets d’expertise comptable. Les recherches académiques ont clairement mis en évidence que, de manière générale, la satisfaction au travail repose sur 3 piliers : l’intérêt du travail, la rémunération et le bien-être au travail, ou autrement dit les conditions de travail.
En général, la compétitivité des cabinets est au rendez vous au niveau de la numérisation des documents, de la digitalisation, de la répartition des dossiers entre les collaborateurs, voire de la répartition et de la coordination des tâches entre collaborateurs. L’organisation du travail repose également sur l’adéquation la plus fine possible entre les postes occupés et les compétences techniques de chacun. Parfois, il existe un « gap » destructeur de valeur et qui déstabilise la structure organisationnelle.
Quatrième levier : la politique de rémunération (R). La rémunération de tout un chacun est relative et dépend de la contribution de chacun à la valeur créée. Or, elle est contextuelle, contingente, relative et évolutive. Contextuelle, elle dépend du type de clients du cabinet, de la taille de ce dernier et surtout de la nature des missions réalisées. Une segmentation des salariés des cabinets, hors fonctions supports, peut être faite en 5 groupes : les collaborateurs débutants, les collaborateurs confirmés, les experts-comptables stagiaires, les consultants et les chefs de mission. Pour tous, un équilibre doit être recherché entre rémunération individuelle et rémunération collective. La rémunération versée aux salariés doit être la contrepartie de la valeur ajoutée apportée au cabinet qui dépend directement du chiffre d’affaires par collaborateur, en partant bien entendu du principe que les frais de structure sont maîtrisés. Je me risquerais au coefficient de 2.5. On peut faire l’hypothèse que le chiffre d’affaires réel qu’un collaborateur doit réaliser directement soit égal à 2,5 fois sa rémunération chargée. Ainsi, un collaborateur rémunéré 40 KE, charges sociales salariales et patronales comprises, devrait permettre au cabinet de réaliser
100 KE de chiffre d’affaires. Dans le cas contraire, la productivité n’est pas au rendez-vous et les responsabilités probablement partagées, ce qui nécessite d’effectuer un diagnostic précis des causes.
Cinquième levier : la gestion des Emplois (E). Compte tenu de la pénurie des collaborateurs, un enjeu majeur pour les cabinets est celui de leur fidélisation, une fois ces derniers recrutés. Une des questions qui se posent est celle de la gestion des talents qui, ayant une forte employabilité, risquent d’être « chassés » par des structures concurrentes.
Or, quelle est la clef de la fidélisation des salariés d’un cabinet ? C’est leur satisfaction au travail qui dépend de trois éléments : l’intérêt du travail (nature des tâches réalisées, soutien de la hiérarchie, progression et aisance techniques), la rémunération (individuelle et collective) et la qualité du bien-être au travail (ambiance, qualités de relations, respect mutuel, cohésion d’équipe, solidarité).
Un processus construit de fidélisation, reposant sur différentes actions, permet d’aboutir à la fidélité des salariés qui n’existe que si 2 des 3 critères (intérêt du travail, rémunération, qualité du bien-être au travail) sont respectés. Or, s’il ne devait y en avoir qu’un respecté sur trois, la probabilité de départ des plus compétents et des plus « employables » est très forte dans les deux ans qui suivent la constatation de cet état de fait. Et malheureusement, ne restent dans les organisations que les salariés les moins compétents, les plus « contraints » par des obligations familiales ou personnelles, ce qui accélère malheureusement leur démotivation et leur « désimplication ». A contrario, une réelle satisfaction au travail conditionne une forte motivation et une implication organisationnelle élevée. Bien entendu, les leviers d’action sont nombreux et parmi ceux-ci, un plan de carrière pourrait être proposé aux collaborateurs concernés et tentés par de nouvelles aventures dans une autre structure.
Sixième levier : la politique de formation (F). Quand on travaille dans un cabinet d’expertise comptable, on n’est jamais assez formé. Même remplir une déclaration d’impôt sur le revenu, cela peut être compliqué. Je les ai comptées : plus de 400 cases dans une déclaration d’impôt sur le revenu. On en découvre tous les jours, et malheureusement en cas d’erreurs, un cabinet peut le payer « cash » en termes d’image auprès de ses clients. Bien entendu, c’est un exemple. La mise en place d’un plan de formation tout au long de la vie est un investissement productif et créateur de valeur car il permet de démultiplier la productivité des équipes.
Et Dieu sait si le métier est évolutif, complexe, puissant et enrichissant !
4 juillet 2022
Christian Prat-dit-Hauret
Professeur des Universités et Directeur du Comité Scientifique
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